Les Inouïs du Printemps de Bourges - Avril 2015
La première fois où je suis venu à Bourges c'était pour jouer dans le off, au café des Postiers si je ne m'abuse... 1995 ou 1996, j'avoue ne plus trop me souvenir... La seconde fois, notre groupe Useless était sélectionné comme découverte Nord Pas de Calais du Printemps de Bourges. Cette année là Asian Dub Fondation et Mass Hysteria, nos potes de tournées de l'époque, jouaient également à Bourges mais dans la cour des grands. Je n'y suis plus retourné une paire d'années et suis revenu à partir de 2009 en compagnie de Dynamo, l'Antenne Nord - Pas de Calais des inouïs pour soutenir les groupes régionaux mais aussi rencontrer des professionnels pour préparer la production des Marmites Nord Pas de Calais de l'année.
2015, c'était la deuxième année de ma présence aux Inouïs, non pas uniquement en tant que coordinateur de la Brigade d'Intervention Culturelle, mais surtout comme photographe officiel en charges des Inouïs. Photographier sur scène et hors scène, toutes les découvertes régionales. Une mission assez épuisante mais captivante. Dans la colonne centrale de ce blog, une sélection et un lien vers les albums photos complets qui se situent par ordre alphabétique dans la colonne de droite. Bonne navigation !
Les backstages des 22 Est et Ouest
La guerre quotidienne de l'affichage...
Christophe Crenel du Mouv', un collègue photographe de talent et un passionné de musique avant tout...
Iltika a déjà une histoire touffue depuis une dizaine d’années autour du flow slam, jazz et bilingue du rappeur Sidi. Cet aventurier dijonnais a rassemblé un groupe ambitieux de neuf musiciens qui hybride hip hop et musique classique, pop et improvisation, méditation politique et incendie romantique, conte urbain et world flottante. Une sorte de Soul Coughing meets Saul Williams en français dans le texte.
Erick Lebeau navigue dans les musiques comme s’il avait décidé de poursuivre l’énorme processus pluriséculaire de la créolisation avec son projet Tricodpo. Alors, en compagnie notamment de l’accordéoniste Marine Charlin, il puise tout ce que lui offre chaudron des musiques de la Réunion et les met au risque du jazz, du folk et du meilleur de ce qui est arrivé ces derniers lustres dans la chanson française, de Mathieu Boogaerts à M. Un live dépaysant, innovant et sensible.
Parfois, dans les magasins d’instruments de musique, on voit de drôles d’outils qu’on ne sait pas trop dans quel sens attraper. Lior Shoov sait. Cette virtuose du hang et de plein de trucs sait non seulement sortir des sons d’objets improbables, mais elle émeut, amuse, inquiète, bouleverse, trouble. On ne sait pas si c’est un personnage de Lewis Carroll ou de Tolkien.
« Le temps que l’on passe à refaire le monde est-il du temps perdu ? », demande Nicolas Michaux dans une de ses plus belles chansons. Cet arpenteur du monde contemple ses contemporains avec la tendresse désolée d’un Dominique A pop ou d’un Nick Drake en plein soleil. Y a-t-il un adjectif qui dise à la fois minimaliste et humaniste ?
Un flot de paroles dévoilant des amours ravagées et des vies pantelantes, qui se dévide sur un fond de bribes de musiques de films oubliés, de rythmiques obstinées, d’archives radio, de tentatives instrumentales sommaires… Gontard ! délivre son abstract hip hop célinien dans ses nombreuses mixtapes théâtrales publiées frénétiquements et dans des concerts mi-punk mi-hypnose…
La chanson et le rock se rencontrent souvent mais parviennent encore à trouver ensemble des lieux inexplorés, comme la poésie de Radio Elvis. Entre humeurs planantes et hypnoses new wave anglaises, ce trio trouve le centre géométrique d’un triangle Dominique A-Joy Division-Alain Bashung, porté par la voix envoutante de Pierre Guénard, funambule qui trace un chemin singulier entre retenue et abandon.
Une pop énergique et bien ronde qui fait autant penser à LCD Soundsystem qu’à ces bons vieux Echo & the Bunnymen : Aloha Orchestra est né au Havre, de l’envie de faire vivre sur scène des chansons pop aux contours cotonneux mais solidement charpentées – un défi à la géométrie mais un efficace sortilège rock moderne.
Depuis quelques lustres, l’Auvergne est terre de folk et nous envoie régulièrement des artistes inspirés et libres comme By The Fall. Avec ses chansons funèbres et racées, ses lumières contrites, sa voix saisissante et ses mélodies à la Tom McRae, il instaure des climats à la fois désolés et ouverts, mais ses messages de deuil parviennent à faire espérer. Folk salutaire…
Éternellement, on célèbrera la furie adolescente dans le rock, les mélodies insolentes, les rythmiques drues, les textes narquois. Avec Last Train, on entend la morgue instinctive qui fait les belles aventures glam, des échos des Queens of the Stone Age ou même de Blue Öyster Cult et évidemment l’urgence cyclique du retour d’un rock qui bastonne. Pêchu et vital.
Le groupe biennois Puts Marie a déjà une histoire imposante, qui en fait une des références d’un rock suisse énergique et branque (les performances travesties du groupe sont légendaires). Avec son incroyable charisme, le chanteur Max Usata est animé par un esprit de cabaret vénéneux, ironique et parfois furieux, quelque part entre Tom Waits, Joel Grey et Brian Molko.
Quand Nico Barbaud de Coup d’Marron a décidé de tenter une nouvelle aventure, il s’est entouré de Maud-Elisa Mandeau, Norbert Labrousse et François-Pierre Fol, c'est-à-dire une bonne partie du groupe Prince Miiaou. Ensemble, ils se saisissent de ses compositions en anglais et arpentent des territoires indie-rock, entre souvenirs de Radiohead et mélancolie contemporaine, folk déréglé et mythologie Elliott Smith.
Réinventer la pop gouailleuse et inspirante des divas underground du début des années 60 ? Vilain tente le coup avec des boites à rythmes entêtantes, trois garçons aux chœurs, des riffs de guitare patiente et une voix de fille sans complexe et sans détour, souverainement placée au cœur de compositions à la fois sophistiquées et limpides.
Héritiers de la sombre beauté de la noisy des origines, les quatre Bretons, de Bantam Lyons, établis à Nantes, sont aussi de fins lettrés qui ont choisi le nom de leur groupe dans Ulysse de James Joyce et parviennent à convoquer au même point Mogwai et Talk Talk, Sigur Rós et James Holden. Explorations oniriques de l’intime et grandiloquences soniques…
Une petite rupture sur le continuum espace-temps : Émilien Gremeaux et Julie Crouzillac ont donné à leur groupe un nom discrètement référencé dans les sixties les plus classieuses et prennent plaisir à explorer pop, soul, reggae ou rock avec un goût prononcé pour les petits maîtres que l’on ne trouve, aujourd’hui, qu’à l’écart des autoroutes – Sam Cooke, Nancy Sinatra, The Ronettes, Etta James…
Évidemment, avoir une chanson dans une publicité pour Apple avec Martin Scorcese en voix off que l’on projette pendant la cérémonie des oscars, ce n’est pas rien. Mais Groenland est surtout une des plus belles promesses de la dynamique scène montréalaise anglophone. Avec sa pop indie élégante et méditative, ses instrumentations touffues et boisées, ses brusques embrasements poétiques et la voix vibrante de Sabrina, voici une sensation passionnante.
On en oublierait presque que Martin Mey est un multi-instrumentiste et compositeur à l’univers éclectique (Radiohead, folk suédoise, Woodkid, Camille, Black Keys…) tant sa voix est prenante, quelque part entre nudité et emphase, entre voltige lente et introspection gospélisante. Son album Taking Off est un joyau de trip hop acoustique (on résume…) et navigue entre expérimentation intime et émotion à large spectre.
Entre déclamation post-jimmorrisonienne et énergie blues-punk, le chanteur Corentin Gallet s’est associé au batteur et clavier Sébastien Forrester pour créer Milan, projet presque primitiviste, le plus près possible de l’émotion initiale du rock et de la pulsion originelle de l’electronica. Milan retrouve l’instinct janséniste et extrémiste de Television ou Morphine et ressuscite des émotions jusque-là enfouies très profondément.
Pierre Monzo composait en solo une pop brumeuse en apesanteur. Ayant rassemblé trois complices au sein de Peter Pitches, il donne à ses chansons une puissance romanesque qui rappelle les meilleures années de Tortoise ou Mojave 3, mais avec plus encore de générosité. Comme le rêve accompli de partager des précieux instants de félicité et de tendresse nostalgique
Né en duo à Reims, Rouge Congo a été d’abord un groupe orfèvre du do it yourself avant de se transformer en quatuor, sans rien perdre de ses humeurs rêveuses, estivales et subtilement excentriques. Sur des grooves électro pêchus et très eighties, leurs mélodies à la fois aériennes et liquides génèrent un curieux état d’hypnose euphorique.
Pionnier du hip hop au Maroc, Walid Benselim a beaucoup osé, beaucoup voyagé et, après quelques lustres d’aventures musicales pionnières, il invente un espace onirique où il convoque des siècles de poésie arabe, des musiques traditionnelles, un instrumentarium inattendu et des sons électroniques. N3rdistan ose une culture aussi ethnique qu’urbaine, aussi lettrée qu’instinctive. Troublant.
Le truc argenté qui fait comme des samples de flûte traversière, eh bien c’est la flûte traversière de Sélim. Et la machine à deux bras et deux jambes qui fait des bruits synthétiques, c’est le beatboxer Tiko. Avec le rappeur Fish le Rouge, ils forment Pira.Ts, improbable trio hip hop subvertissant à la fois la tranquillité des esprits carrés et les panoplies habituelles des musiques urbaines. Des poètes frappés.
Darjeeling Speech est un projet rêveur qui s’arrache aux références avec une humeur radieuse et un flot de mots acides, farceurs et goinfres. C’est l’échappée belle de Safirius, MC de Micronologie, qui s’élance en solo… et dépasse les bornes. Blues, hip hop, pub rock, slam, tout se mélange avec la belle santé des novices lettrés qui savent larguer les amarres au bon moment.
Jay El-Kady aurait pu être un Oriental de Londres branché sur la variété égyptienne, mais c’était sans compter sur sa nounou jamaïcaine qui l’a biberonné au reggae roots. XXIe siècle oblige, il explore avec son groupe City Kay les possibles d’un mix d’électro pop et de reggae old style. Le résultat est souvent dépaysant, comme si Steel Pulse et London Grammar étaient enfermés dans la même pièce.
On croit avoir tout entendu dans les samples du hip hop français ? Alors il faut aller chez Dandyguel, qui pioche ses instrus dans des raretés africaines, antillaises, jazz ou soul. Il parvient à renouveler les figures ritualisées de l’egotrip et de la célébration de la banlieue natale avec une érudition étonnante et un flow qui révèle une énorme expérience du freestyle.
La formule est simple : deux MCs et un DJ producteur. Est-ce du très classique ? Non : Perfect Hand Crew s’impose depuis quelques saisons comme la référence du grime en France. Avec son flow acrobatique, ses rythmiques survoltées et ses humeurs sarcastiques, une expérience féroce dans les écouteurs et une grosse claque sur scène.
Révélé notamment par des remixes de Bertrand Burgalat, Aufgang ou Blind Digital Citizen, Gordon a aussi marqué la nuit parisienne comme DJ résident de la Machine du Moulin Rouge. Avec son retour à la production, il explore des contrées où l’attraction terrestre ne joue manifestement plus. Un rétro-futurisme savoureux, tantôt vigoureusement technoïde, tantôt subtilement aérien.
S’il y a une connexion directe entre les rêveries interstellaires de l’enfance, les couleurs des films Super-8 tournés sur une plage et la pop de club des années 80, Le Common Diamond l’a découverte. Florian et Thomas produisent une musique rêveuse et éternellement adolescente, comme si, jusqu’à la fin des temps, l’on allait chanter avec une voix de tête pour une fille en robe en nylon à motifs géométriques.
Avec son projet Neue Grafik, le DJ et producteur Fred Bwelle donne à l’UK Garage des couleurs souvent inattendues avec des samples venus des musiques ethniques, de bruits de nature ou de faces B soul. Il déjoue les clichés avec une musique perpétuellement piégée mais incroyablement sensuelle sous ses beats acrobatiques et son érudition vertigineuse.
Cotton Claw, ce sont quatre producteurs alliés pour une house sexy et chaleureuse. Lilea Narrative, Zo aka La Chauve-Souris, YoggyOne et Zerolex mettent de côté leurs carrières solo et leurs discographies personnelles pour cette aventure collective qui culmine sur scène pour des set garantis sans séquences. Un nouveau regard gourmand sur la musique de club.
Clément Leveau s’est inventé avec Jumo un alias troublant et parfois psychologiquement inquiétant dans ses clips. Mais ce jeune beatmaker sait apprivoiser les sonorités les plus froides (boucles lancinantes, basses engourdies, voix pointues) et, peu à peu, les conduire à une sorte de simplicité émotionnelle au pouvoir curieusement apaisant – comme une rencontre avec un zombie tout kawaï.
Depuis la sortie de son premier EP au printemps 2014, NUIT interroge : est-ce du rock crépusculaire contaminé par le trip-hop ou du trip-hop zébré de guitares rock ? Entre Portishead et SBTRKT, une aventure qui apprivoise les ténèbres avec une gourmandise de vampire expérimenté et qui dévoile un sens exquis du bizarre et de la diagonale imprévisible.
Passionné par les synthétiseurs vintage, Olivier Durteste a développé le projet DDDXIE pour s’en repaître, avec la même passion volontiers pédagogue et jouisseuse qu’y met un Arnaud Rebotini. Ici, pas de concession : uniquement des patterns hypnotiques qui réveillent des souvenirs d’acid, des sourires house totalement ravis et une pulsion de danse tribale et bienveillante. Comment une obsession monomaniaque devient un généreux partage...
Le Printemps de Bourges ne serait pas ce qu'il est sans les pots des Antennes... Chaque région française invite les professionnels à déguster leurs spécialités locales. C'est un temps de rencontre, d'échanges, et un peu d'ivresse il faut l'avouer.
Le pot des Antennes du 27 avril 2015